La France a connu depuis l’automne 2012 le mouvement de contestation le plus important de son histoire récente par son ampleur et sa persistance. Opposés à la loi Taubira, des centaines de milliers de Français se sont mobilisés dans la rue, mais aussi sur les réseaux sociaux et Internet, témoignant d’une vitalité inattendue.
Spécialiste des évolutions économiques et sociales, Pierre-Yves Gomez décrypte le phénomène dans un entretien avec la journaliste Claire Villemain. Il décèle dans ce mouvement social une nouvelle exigence de liberté, montre comment la société se renouvellera en y répondant et dessine les contours d’une « écologie humaine » au service de tout l’homme et de tous les hommes.
Une analyse lumineuse et indispensable pour comprendre les transformations en cours.
04 septembre 2013, RCF
Retrouvez l’interview de pierre-Yves Gomez sur RCF
30 août 2013, Le Figaro
Interview de Pierre-Yves Gomez par Astrid de Larminat – Extraits
Vous enseignez a l’EM Lyon La jeunesse vous donne-t-elle des raisons d’espérer ?
PYG: Je constate que les étudiants d’aujourd’hui ont plus de recul sur les techniques qu’il y a quinze ans et une plus grande demande de sens. Ils ne sont pas prêts a faire n’importe quoi On sent aussi un desir de travailler au service de la société elle-même. Ils ne sont pas engagés au sens où ils auraient une vision claire de l’action collective, mais ils ont un sens de la mesure qui vient, je crois, d’une certaine experience de la vulnérabilité, ils ont connu le chomage des parents, des familles malmenées, des difficultés de logement. Ils se sont déjà mesurés a des limites. Aujourd’hui, des jeunes
disent qu’ils veulent vivre et travailler plus paisiblement. C’était impensable il y a dix ans. Ma génération était « macro », elle voulait changer le monde d’un coup. Les nouvelles générations sont « micro », elles se disent qu’elles peuvent, tout en gagnant leur vie, changer quelque chose autour d’elles, par exemple, dans une logique d’entreprenariat social. Je suis curieux de voir ce
q’elles vont faire Tous les jeunes ne sont pas comme ça, mais il y en a suffisamment pour ensemencer le futur.
D’autres signes d’espérance ?
PYG: La grande raison d’espérer est selon moi la capacité de resistance du corps social. On l’a vu l’an dernier en France, qui fut le premier pays ou soudain
les gens se sont mobilisés et ont manifesté massivement. Je crois beaucoup à cette resistance de l’homme, à la générosité des jeunes. Une autre
raison d’espérer, c’est que la génération 68 arrive historiquement en fin de mandat. Non que cette génération légère et frivole n’ait apporté que des
choses négatives, mais elle n’a pas les cadres mentaux, le logiciel comme on dit aujourd’hui, pour résoudre les problèmes qu’elle a créés. C’est normal, sa culture reste ludique et spéculative. Si cette génération restait au pouvoir, on aurait des raisons de s’inquiéter. Mais l’Histoire poursuit son cours. De nouvelles pratiques, de nouvelles façons de penser le bien commun commencent à émerger.
Quel est le but du nouveau courant de réflexion et d’action Ecologie humaine, dans lequel vous êtes engagé ?
PYG: C’est une façon de mettre en musique tout ce que j’ai dit et que je développe dans un livre intitule La liberté nous écoute (Quasar): une recherche de
bon sens commun, une façon de manifester ensemble notre espérance en réfléchissant sur la cohérence de notre action. On a besoin de cohérence.
Le problème de nombreuses personnes aujourd’hui, c’est leur manque d’unité a la fois intérieure et a l’égard de leur environnement
Elles sont coupées en morceaux, elles sont une personne dans leur entreprise, une autre en famille, une troisième ailleurs. C’est lorsqu’on a retrouvé son centre de gravité qu’on peut envisager le monde avec cohérence Par exemple, je suis frappé du souci que déploie notre société pour
les écrevisses a pattes blanches: si vous en trouvez dans votre étang, vous n’avez plus rien le droit de construire à moins de 100 m, car elle est protégée. En même temps, on fait passer sans sourciller une loi qui autorise les expériences medicales sur l’embryon humain. Les problèmes
sociaux, environnementaux, economiques, bioéthiques ou sociaux sont liés. Mais on ne s’en aperçoit que si on accepte de les considérer comme les points d’un cercle dont le centre est la personne humaine. C’est ce bon sens que nous devons retrouver.